« L’important n’est pas de capturer seulement des situations mais aussi la COULEUR de ces situations ».
Allan Porter, revue Camera, juillet 1977
En 1904, à l’aube du XXesiècle, François Kollar naît au cœur de l’Empire austro-hongrois, dans la petite ville de Senec près de Presbourg, devenue aujourd’hui Bratislava. Au cours de sa jeunesse aux confins de Vienne et des Petites Carpates, son regard est confronté quotidiennement à un environnement artistique caractéristique de l’Europe centrale. Dans ses villes riches d’une architecture baroque habilement surchargée, au sein de régions dont l’art est habilement contesté par des mouvements modernistes comme l’influent Bauhaus, ce jeune homme de culture hongroise forme son œil. Dès ses quinze ans, il se passionne pour la photographie. La fréquentation de l’École supérieure technique de Bratislava le met en contact avec l’esthétique des formes fonctionnelles qu’offrent les technologies modernes. C’est alors que la première guerre mondiale va provoquer le démantèlement de l’Empire austro-hongrois et bouleverser les perspectives de vie des jeunes gens de cette culture cosmopolite. Paris, alors considérée avec Berlin comme la capitale de la photographie, va accueillir des artistes issus du ferment de ces territoires aux cultures croisées. François Kollar s’installe en France en 1924, travaille en usine puis chez des imprimeurs où il peaufine sa formation. Il se fait embaucher dans un grand atelier de photographie trouvant ainsi dans son exil les moyens de son expression. Il parvient à monter son propre studio en 1930, rencontre Fernande et fonde une famille. Son épouse gère avec lui l’atelier, allant même parfois jusqu’à poser comme modèle.
Le modernisme photographique s’épanouit au mieux. Dès la fin du XIXe siècle, les constructions métalliques engendrent un nouveau vocabulaire de formes où l’abstraction influence fortement les œuvres des photographes. Les compositions de Kollar sont sans hésitation, sa main ne tremble pas. Ses images s’organisent avec une géométrie appuyée et des contrastes pour faire jaillir une énergie qui est visible et sans détour, comme dans ces assemblages métalliques évoquant le constructivisme.
Par ailleurs, l’humanisme trouve un sérieux ferment dans cette exubérance machiniste. Dans « La nouvelle histoire de la photographie »Ian Jeffrey évoque Kollar dans un chapitre nommé « La vie comme elle va de peine et d’espoir »qui résume les préoccupations de nombreux photographes des années 30. C’est un optimiste qui intègre les valeurs du Modernisme et celles de l’Humanisme. L’exaltation du travail est très présente dans l’œuvre de Kollar, alors que la défense de l’homme asservi l’est davantage dans l’œuvre d’autres artistes. Kollar participe de l’humanisme à sa manière, en évitant un excès de sensibilité qui sera parfois reproché à certains dans les années soixante. Il se concentre sur les objets, les machines. Il structure ses images en mettant en évidence la géométrie des formes et en construisant avec la lumière. Toutefois, l’humain prend sa place en s’affirmant de manière subtile, suggéré ou silhouetté.
Bien évidemment, la dimension documentaire ne doit pas dissimuler les diversités de son art soutenues par une personnalité affirmée au service du médium. Kollar se tient parfois un peu éloigné des circuits économiques et des milieux artistiques. Il participe à des expositions avec des confrères comme Kertész, mais est peu présent dans les galeries et au contact des galeristes. Sa pratique se confond avec sa profession dite artisanale -l’activité rémunérée d’un artiste était parfois désignée comme artisanat.
Voilà l’une des raisons pour laquelle l’œuvre de François Kollar n’a pas toujours été considérée à sa juste valeur jusqu’à la donation à l’État en 1987. On a appris depuis à la regarder en mettant en perspective «La France travaille »,célèbre commande, avec l’ensemble de ses travaux. Il faut par exemple intégrer certains aspects des recherches de l’avant-garde, prendre en compte ses influences, celles de la publicité et son approche de l’image tant en noir et blanc qu’en couleur. Kollar a toujours fait l’acquisition de matériel performant en cohérence avec sa pratique. Pour preuve, il suit une formation sur les procédés couleur au sortir de la seconde guerre mondiale, alors qu’il avait dû mettre en sommeil sa pratique de la photographie durant le conflit. En artiste consciencieux, il met à profit l’apprentissage de ces nouveaux outils de création susceptibles de transformer son approche de la photographie. Discrètement, dans un souci d’évolution de son œuvre, il intègre la couleur tant dans des œuvres de commande que dans une production très personnelle en rapport avec sa vie privée.
Cette posture évoque nettement des faits de l’histoire de la photographie couleur et notamment des artistes plus jeunes qui suivent le même parcours à la même époque, tant en Amérique qu’en Europe.
Gilles Boussard