« …Le climat-lumière est constitué par l’éclairement enrichi de la lumination et entre dans le complexe plastique de l’image, dont le rôle est de donner à voir, ou donner à ressentir, c’est-à-dire tout à la fois créer du visible et suggérer l’invisible. »
Frédéric Ripoll, Dominique Roux, la Galerie du Château d’Eau de Toulouse,
à propos d’Henri Alekan (1909-2001) Chef opérateur photographie.
Loin d’un inventaire poétique ou d’une typologie systématique, Céline Clanet propose un vocabulaire photographique en rapport avec les lieux du pouvoir. Dans le contexte général de son œuvre, elle se confronte régulièrement à l’environnement des décideurs du commerce et de l’industrie. Elle a su aborder avec diplomatie ces îles institutionnelles que sont nos Préfectures.
Le parcours d’artiste de la photographe est régulièrement irrigué de commandes. On sait combien le principe de la commande reste essentiel à l’économie et au développement artistique du médium photographique. Le pouvoir inventa la Mission héliographique en 1851 pour documenter les richesses monumentales de la France. La commande faite à Céline Clanet s’inscrit dans cette culture photographique mise en place depuis le milieu du XIXe siècle. En effet, l’album et le portfolio assurent la diffusion des photographies depuis plus d’un siècle, augmentée aujourd’hui des moyens numériques.
Mémoire et point de vue artistique utilisent ces véhicules du savoir pour irriguer la pensée et plus particulièrement l’histoire des représentations. Dans le cas précis, il s’agit d’une immersion dans des espaces désignés de l’architecture des préfectures. Des lieux où architecture, design et portrait photographique participent à l’élaboration de la représentation que le pouvoir souhaite transmettre. « Accès Réservé » s’introduit dans ce parcours. Les prises de vues captent formes, couleurs et valeurs dans une mise en abîme du quotidien des symboles de la République. Lieu et non-lieu sont l’objet d’attentions des artistes depuis les années 1970 ; la sphère privée dans son environnement est source d’observations.
Ces images invitent à l’interprétation de la perception des lieux par des « ouvertures » inhabituelles, créant ainsi une approche capable de mettre en doute notre appréhension de l’espace. Cette perspective euclidienne, subtilement bouleversée, favorise l’intérêt de notre regard plus souvent enclin à se satisfaire d’une composition normée. Les différents niveaux de lecture évoquent les faces cachées de cette institution plus que centenaire. Une ambiance irréelle, celle d’un temps arrêté, comme suspendu, favorise l’occasion d’une distanciation qui caractérise cette œuvre. Notre vision plurielle nous incite à identifier les différentes strates du prétexte de l’image. Nous sommes en présence d’enregistrements qui dénudent une partie de la réalité avec un rendu plus complexe que celui que l’œil arrive à capter d’un point de vue optique. Les photographies rigoureusement construites de Céline Clanet invitent à la contemplation de constructions propres à satisfaire le mental: repères familiers, forces singulières, dépassement des limites.
Bien que la photographe concentre la majorité du flux de son regard sur le modelé de l’espace, l’oeil recherche une réalité de tous les jours avec tous les codes et les signes qui lui appartiennent. Le sentiment d’une banalité lisse semble palpable. Le parti pris de l’artiste souligne astucieusement l’esthétique d’un espace de vie. La présence humaine est souvent réduite à des symboles du quotidien d’un grand dénuement.
Dans les magnifiques décors, l’exploration du détail et la maîtrise des lumières ne parviennent pas à combler un sentiment d’absence ou tout du moins d’éloignement. Une sorte d’esthétique aseptisée où la place du sensible s’efface. Une photographie qui oscille entre présence et absence, objectif et subjectif.
Le médium photographique assoit son importance dans l’histoire de l’art par sa maîtrise de l’inventaire maintes fois mise en évidence par des artistes photographes soucieux de constituer des typologies, de documenter. Dans « Accès Réservé », les principes de l’inventaire et de la documentation sont logiquement écartés avec cohérence pour d’autres propositions. Il s’agit de capter la forme et le temps, constitutifs essentiels de la photographie. Les portraits résonnent avec les détails des boiseries, des tissus, du bâti. Pour la forme, les décors intérieurs permettent une interprétation graphique qui approche l’abstraction et provoque un regard subjectif, une mise à distance. En revanche, par la maîtrise du portrait, l’artiste permet à cette architecture de retrouver la place de l’homme qui semble parfois avoir déserté ces espaces de vie. La photographe se glisse dans les interstices des palais de la République et s’attache aux signes que laisse le quotidien. Dès l’origine du projet, Celine Clanet avait conscience de l’isolement des lieux et son dispositif technique avec pose et moyen format établissait avec cohérence le lien nécessaire à la représentation du bâti et de l’humain. Elle s’attache aussi à transmettre l’essence des lieux par le portrait des hommes et des femmes confrontés à la vie quotidienne du pouvoir. Les portraits résultent de la volonté d’imprimer une esthétique de l’immobile, l’expérience du port du costume ou du vêtement de travail, témoin d’un mode de vie.
La photographe choisit une composition et apporte des informations lisibles sans exagération. La photographie cerne une manière d’habiter.
Gilles Boussard