Ils ont photographié la Normandie en couleurs

Edouard Costil, portrait de jeune fille, vers 1910, plaque autochrome, 12 x 9 cm, coll. Ardi – Photographies, Caen.

La conquête de la couleur

L ’autochrome est complexe à appréhender. Sa technique, sa pratique, sa diffusion et plus généralement le monde auquel elle appartient nous sont aujourd’hui étrangers. C’est le monde des expositions coloniales, des expéditions vers l’Antarctique, d’une Europe formée de royaumes et d’empires, où le théâtre se réinvente, où la photographie se projette en public. Un monde où naissent des projets pharaoniques, qui s’enregistre en photographie et en couleurs pour être diffusé par la presse. Un monde qui va être bousculé par la Première Guerre mondiale, la crise de 1929 et englouti par la Seconde Guerre.

Nous ne savions paspouvoir regarder ce monde en couleurs. Du jour où les visionneuses de salon ont été reléguées, l’autochrome est devenue invisible, disparaissant dans les greniers de ses auteurs ou dans les réserves des institutions chargées de préserver des outrages la sensibilité de ses couleurs et la fragilité de son support en verre. Avec l’autochrome, le passé se colore sous nos yeux comme les photographies s’étaient colorées sous le regard des premiers opérateurs…

Pourtant, sa naissance avait connu un grand retentissement tant, depuis la divulgation du procédé photographique, en 1839, la couleur constituait l’élément manquant, l’objet de toutes les quêtes. Si la perception du relief (1832) et l’enregistrement du mouvement (1895) étaient depuis longtemps acquis, la photographie en couleurs résistait encore et restait l’apanage des inventeurs et des expérimentateurs. 

Lors de la divulgation de la photographie, l’absence de couleurs dans le rendu, alors même que l’image au moment de la prise de vue apparaissait en couleurs sur le dépoli, avait ouvert une voie nouvelle à la représentation d’après nature. Les photographes s’étaient engouffrés dans cette brèche esthétique instaurant un art photographique. En s’appuyant sur les lignes de composition et l’harmonie lumineuse, en jouant sur les effets de matières, les supports et la chimie mis en œuvre, la photographie avait su trouver une esthétique propre, loin des canons de la peinture. 

L’apparition de la couleur entraîne indéniablement pour les photographes une rééducation du regard : les rapports chromatiques viennent soudainement s’ajouter aux contrastes de lumière. Ses inventeurs ont beau vanter le rendu naturel des couleurs, l’autochrome pousse de façon saisissante les contrastes, faisant admirablement vibrer les bleus et les verts autour des rouges et des oranges. Il faut apprendre à disposer ces ponctuations colorées, à jouer des transparences et de l’infinie douceur des lumières propres à l’autochrome.

La faible sensibilité de la plaque autochrome interdit, de fait, la prise sur le vif, accessible au photographe amateur depuis les années 1880, et impose l’usage du pied photographique. Si l’autochrome apporte la couleur au photographe, elle lui enlève l’instantané. C’est pourquoi, en attendant des améliorations, il tente de déterminer des temps de pose de référence et de forger son expérience afin de dominer cette question si épineuse pour « réussir » une autochrome. Pour cela, les autochromistes privilégient des sujets qui ne bougent pas : paysages, natures mortes, fleurs, reproductions de tableau et portraits assis renouant avec les poses figées du daguerréotype. C’est ainsi qu’insidieusement s’instaure une iconographie de l’autochrome souvent empruntée aux genres picturaux.

L’autochrome en Normandie, réception et pratique 

Après le dépôt des premiers brevets, le 17 décembre 1903, il faudra aux frères Lumière quatre longues années avant de parvenir à l’industrialisation et à la commercialisation,sous le nom d’autochrome, du premier procédé mettant la photographie en couleurs à la disposition des amateurs. Habiles promoteurs, ils entretiennent la curiosité des photographes en s’appuyant sur le réseau des sociétés de photographie et des photo-clubs. En novembre 1905, le bulletin de la Société caennaise de Photographie publie les ompterendu de l’assemblée générale des actionnaires de la société des plaques Lumière, qui annonce « la photographie des couleurs sur verre mise à la disposition de tous » et promet que « tout opérateur pourra reproduire fidèlement un sujet quelconque avec sescouleurs les plus variées sans recourir à des manipulations plus difficiles que celles de la photographie ordinaire ».

Le 10 juin 1907, le procédé de la plaque autochrome est présenté dans les locaux du journal L’Illustrationlors d’une soirée organisée conjointement par le journal, les frères Lumière et les photographes Léon Gimpel et Ferdinand Monpillard,qui l’ont déjà expérimenté. Rapportéepar la presse, cette annonce crée l’événement. L’adhésion est immédiate. Le succès est tel que la maison Lumière ne peut communiquer les documents demandés par le secrétaire de la Société caennaise de Photographie, qui, dans son bulletin, doit se contenter d’annoncer ladisponibilité des plaques[1]. L’utilisation de l’autochrome ne nécessitant pas de matériel de prise de vue spécifique, les photographes réalisent immédiatement les premiers essais, de nouveau rapportés par les presses généraliste et spécialisée. Sa supériorité permettra à l’autochrome de balayer ses concurrents et, durant près de trente ans, de dominer le marché de la couleur.

Malgré les réelles avancées et simplifications qu’ont connues les procédés photographiques, la photographie reste, à l’époque de l’invention de l’autochrome, une pratique exigeante. L’artphotographique réclame en effet de solides connaissances optiques et chimiques afin de contrôler toutes les étapes de la prise de vue au tirage.

Les choses se compliquent encore avec la plaque autochrome. La simplicité mise en avant par la dénomination même du procédé n’est qu’apparente. Le terme autochrome, qui évoque autant le procédé direct de capture de la couleur que la restitution des couleurs naturelles, est un leurre. Les autochromistes vont être confrontés à deux difficultés : laquestion des temps de pose, difficiles à évaluer, et la complexité du développement. Or,ces deux éléments sont déterminants pour obtenir des autochromes de qualité.

Le développement, plus long et plus complexe que pour des plaques noir et blanc, comprend une procédure qui par inversion crée un positif à partir d’un négatif. Cela entraîne, d’une part, la disparition de la matrice, d’autre part, limite l’intervention, lors du tirage, à de simples corrections de contrastes et de retouches. L’intervention du photographe au tirage constitue pour les tenants d’un art photographique un aspect important de la phase de choix et de décisions artistiques dont pouvait faire preuve le photographe. Sa limitation alimentera les polémiques sur le statut artistique de l’autochrome. 

Le succès technique et industriel que rencontre l’autochrome accroît encore le prestige des frères Lumière, notamment au sein des sociétés de photographie. Ainsi, en 1908, la Société caennaise de Photographie décide-t-elle de nommer Louis et Auguste Lumière membres d’honneur afin de rendre hommage à ceux « qui pour ainsi dire ont été des collaborateurs de notre société[2] ».

L’autodrome nourrira l’actualité photographique des années 1908 et 1909. Les débats à la fois techniques et esthétiques occupent largement les colonnes des bulletins des sociétés de photographie et des photo-clubs. L’évaluation des temps de pose,l’augmentation de la sensibilité des plaques et leur traitement pour le développement sont au cœur des discussions techniques. La communauté des photographes se mobilise et propose des solutions destinées à faciliter l’apprentissage des autochromistes. Quelques semaines après la présentation du procédé, Abel Buguet, membre du photo-club rouennais, donne dans le Journal de Rouen des clés pour maîtriserle temps de pose des autochromes. Outre les notices et l’agenda des entreprises Lumière, les chroniques et communications publiées dans les bulletins et les revues spécialisées sur le sujet se multiplient, avant que n’apparaisse une littérature offrant des éléments de références[3]

Les frères Lumière, attentifs aux critiques, ont conscience que le prix et le processus de développement constituentdes obstacles,auxquels ils tentent de remédier. En mars 1909, les entreprises Lumière diffusent auprès de la Société caennaise de Photographie une note informant ses membres d’une baisse des prix ainsi que d’une simplification des travaux dedéveloppement. De quatorzeétapes et neuf solutions chimiques pour un temps de traitement de vingt-cinq minutes, le développement passe,à partir de 1909,à un traitement simplifié en trois bains. À Caen, Julien Burger, qui fournit nombre de produits photographiques, dispose d’échantillons à destination des membres de la Société Caennaise de Photographie.

En réalité, ces derniers n’adoptent que très peu la photographie en couleurs. Aussi, la Société fait-t-elle appel au Parisien Étienne Wallon afin qu’il anime, le 2 décembre 1908, sous le titre
« La photographie en couleurs» , une causerie sur ce sujet et une projection de plaques autochromes, présentant notamment des œuvres d’Antonin Personnaz. Le succès de la manifestation reste incertain, le président de la Société Caennaise de Photographie se félicitant « d’une salle bien garnie, mais [qui] aurait dû déborder »[4].

Le photo-club rouennais se montre plus attentif et plusieurs de ses membres se lancent dans l’aventure. Il semble que l’émulation née entre les photographes de Rouen et ceux de Déville-lès-Rouen et la volonté d’en maîtriser la technique servent habilement la pratique del’autochrome au sein du photo-club rouennais. En 1914, le congrès de l’Union nationale des sociétés photographiques de France se tient à Rouen et est l’occasion de nouvelles projections de photographies en couleurs. Cet intérêt du photo-club rouennaispour l’autochrome ne se dément pas jusque dans les années 1930, où Charles Demeilliers propose des projections mêlant plaques noir et blanc et autochromes[5].

« Les amateurs »

Ces amateurs éclairés, aguerris à la prise de vue, au développement et au tirage photographique, sont bien souvent membres de sociétés de photographie. Ils se distinguent des « presse-bouton », venus à la photographie avec le développement par la firme Kodak d’appareils photo à l’utilisation simplifiée. 

L’autochromiste peut être considéré comme « tout amateur ayant des loisirs, et un peu d’instruction et de goût[6] ». Et, de fait, ces photographes ont généralement un profil identique. Nés dans les années 1860 ou 1870, ils sont issus de classes moyennes ayant connu récemment, au moyen de l’école, une ascension sociale. Ils ont les moyens financiers mais également la culture scientifique et artistique liée à leur éducation. Ils sont attentifs au progrès et friands d’innovations techniques. Leurs loisirs laissent une large place à la famille, à la promenade, aux vacances. La couleur apporte à ces moments une douceur et une joie de vivre qui mettent en avant l’harmonie apparente de leur mode de vie. 

Ils pratiquent la stéréoscopie noir et blanc ou autochrome. Cette technique particulièrement ludique en ce qu’elle restitue le relief est, avec la couleur, l’autre grande affaire de la photographie amateur en ces années 1900. Elle donne le sentiment au photographe que, en alliant relief et couleur, l’autochrome stéréoscopique se rapproche au plus près de l’enregistrement de la réalité. 

Les sociétés de photographie jouent un rôle important dans l’activité des amateurs, leur permettant de se documenter et d’échanger des astuces afin de dominer la technique de l’autochrome et d’élargir la diffusion de leurs photographies au-delà du simple cercle familial. Rapidement, les sociétés vont admettre les autochromes aux Salons et concours qu’elles organisent. 

« Les professionnels »

Le reportage


Deux grandes figures dominent le photo-reportage de l’époque : Jules Gervais-Courtellemont et Léon Gimpel. Leurs pratiques, les cercles qu’ils fréquentent, leur collaboration à L’Illustration devraient les rapprocher mais ni l’un, ni l’autre n’évoque jamais son confrère. 

Tous deux trouvent dans la presse des débouchés économiques à leur activité de photographe. Léon Gimpel privilégie le scoop,qui lui permet de figurer en bonne place dans L’Illustration : il multiplie les innovations techniques et les cadrages audacieux. En 1909, le journal lui confie le reportage de la visite du souverain russe Nicolas II à Cherbourg et sa rencontre avec le président Armand Vallières ; il en rapporte des photographies en noir et blanc et des autochromes. Léon Gimpel réalise plusieurs reportages en Normandie, toujours mené par l’actualité et photographie, une fois encore pour L’Illustration, les jardins des villas deauvillaises et l’habitat traditionnel normand.

Jules Gervais-Courtellemont a une approche différente de la pratique du reportage,au cours duquel il privilégie le goût du pittoresque et de la figure humaine. Il s’attarde à Rouen sur les lieux du bûcher de Jeanne d’Arc ou dans la demeure de Gustave Flaubert,à Croisset. Parallèlement à ces grandes figures, il cherche à mettre en valeur les traditions et coutumes propres à la Normandie. Or,celles-ci ont en grande partie déjà disparu,ce qui amène Jules Gervais-Courtellemont à recourir à la mise en scène et à exhumer costumes et accessoires traditionnels. Cela ne l’empêche pas de faire preuve d’un œil précis, soignant ses cadres et ses lignes de composition, mettant judicieusement en œuvre la couleur et la lumière pour souligner les qualités de son sujet. 

« Les Archives de la planète »

Cet attachement aux traditions et coutumes sur le point de disparaître est également au cœur du projet « Les Archives de la planète », mené, à partir de 1909, par le banquier Albert Kahn (1860-1940) et dont l’objet est de « fixer une fois pour toutes des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps[7] ». Pour cela, Albert Kahn recourt à une douzaine d’opérateurs différent, chargés – par le biais de la photographie noir et blanc, de la stéréoscopie, de l’autochrome mais aussi du cinéma – de mener des campagnes de collectes photographiques et cinématographiques en France et à l’étranger. 

En 1912, la direction scientifique du projet est confiée au géographe Jean Brunhes (1869-1930). Il dirige ainsi un projet documentaire visant à rassembler des données photographiques portant sur les champs géographiques et ethnographiques. Il participe à la formation des opérateurs et établit une liste de faits à capturer ainsi qu’une méthode de prise de vue. 

« Les Archives de la planète » s’inscrivent dans un projet beaucoup plus large que celui d’inventaire photographique des coutumes d’un monde en voie de disparition sous les coups de butoir de la modernisation. Albert Kahn crée progressivement un certain nombre de fondations, ayant toutes pour objectif d’intervenir dans leur époque et sur l’avenir du monde en défendant ses positions pacifistes et internationalistes. 

Les préconisations de Jean Brunhes se retrouvent peu dans les autochromes que réalisent Auguste Léon, Georges Chevalier et Georges Dumas en Normandie. La Normandie de ces années-là s’est déjà grandement modernisée, faisant disparaître les modes de vie traditionnels. La richesse des terres normandes a permis le développement d’une agriculture moderne et d’un monde industriel. Il reste quelques exemples essentiellement architecturaux, mais peu de traces des traditions susceptibles d’intéresser le tenant de la géographie humaine qu’est Jean Brunhes. L’essentiel des autochromes rapportées par les opérateurs fait figurer des vues de paysages ruraux ou urbains dont la personne humaine est en grande partie absente. 

La diffusion 

La presse et notamment le journal L’Illustration constituent une réelle opportunité pour les photographes de commercialiser et de diffuser leurs autochromes. Cependant, leurs reproductions dans les journaux souffrent de la médiocrité des rendus chromatiques, due à la similigravure en trichromie, seul procédé possible. Malgré les promesses des frères Lumière, la réalisation d’épreuves sur papier à partir de l’autochrome sera quasi impossible, la projection restant le mode privilégié de perception des autochromes. 

Le moyen le plus simple de percevoir les plaques autochromes demeure la perception à main nue. Elles peuvent également être vues moyen de visionneuses de salon. Mai, dès sa conception, l’autochrome est destinée à être projetée en public.C’est le cas au sein des sociétés de photographie et des photo-clubs. Jules Gervais-Courtellemont, qui pratiquait déjà la conférence photographique, perçoit immédiatement l’apport de la couleur à son entreprise. Il propose dès 1908 ses « Visions d’Orient », projections à partir des autochromes qu’il a réalisées au Moyen-Orient. Devant le succès rencontré, il ouvre, en 1911, Photo-Couleurs, une entreprise de portraits, prises de vue, catalogues, travaux techniques et matériels dévolus à l’autochrome. Il y adjoindra la Société des conférences illustrées de Photo-Couleurs, qui proposera des sujets à partir de ses photographies ainsi que de celles de conférenciers associés. Les autochromes seront aussi présentées au sein des « Archives de la planète » grâce à une lanterne à double corps assurant la projection successive des plaques, méthode utilisée aussi par Jean Brunhes lors de ses cours au Collège de France.

Biographie des auteurs

Les amateurs

Jules Antoine (Limoges, 1863 – Paris, 1948)

Né à Limoges, Jules Antoine s’installe à Paris avec sa famille à l’âge de cinq ans. Bon élève, il bénéficie de bourses qui lui permettent, en 1883, d’entrer à l’École nationale des beaux-arts et de suivre les cours du soir de l’école d’architecture. Son frère André épris de théâtre et de littérature, participe à la création du Théâtre-Libre. Les deux jeunes hommes côtoient artistes et comédiens. Jules Antoine se lie avec Maximilien Luce, fréquente Félix Fénéon et le salon de Théo Van Gogh et collabore régulièrement à la revue Art et critique.

Jules Antoine se marie en 1888 : en 1890, il est reçu comme architecte-voyer à la Ville de Paris. Son fils Jean naît en 1892, sa fille Marthe en 1893. Il se passionne pour la photographie. Il sera le photographe de l’enfance, captant en noir et blanc les visages, les jeux et les émotions de Jean et de Marthe. Jules Antoine photographie en couleurs dès 1909 : ses modèles prennent le temps de la pose, Jules Antoine prend celui de la composition. Il photographie la Normandie à l’occasion des vacances, la plage de Donville, les pique-niques et les promenades entre amis. En 1912, Jean meurt d’une péritonite et Jules Antoine remise son appareil photographique. 

Étienne Clémentel (Clermont-Ferrand, 1864 – Prompsat, 1936)

Homme politique, conseiller général puis député du Puy-de-Dôme, il est plusieurs fois ministre sous la Troisième République. C’est aussi un homme de lettres, ami des arts, des impressionnistes, de Rodin et de Monet. Adolescent, il fréquente les ateliers des artistes clermontois et rêve d’entrer dans une école d’art. Toute sa vie, il dessinera. Il se passionne aussi pour la photographie, pratiquant surtout la stéréoscopie autochrome. De 1914 au début des années 1920, il photographie pendant ses loisirs : lors de voyages à l’étranger, de villégiatures au bord de la mer ou en Auvergne, d’événements familiaux. Étienne Clémentel réalise plusieurs stéréoscopies couleur de la Normandie : du mont Saint-Michel en 1915, de Blonville-sur-Mer lors de vacances en 1916 et de Giverny lors d’une visite à son ami Claude Monet vers 1920. 

Charles Demeilliers (Yébleron, 1876 – Le Mesnil-Esnard, 1958)

Charles Demeilliers, pharmacien, est installé au Mesnil-Esnard, sur les hauteurs de Rouen. Membre du photo-club rouennais, il bénéficie sans doute de l’engouement de ses membres pour l’autochrome. Il y vient cependant tardivement, probablement dans les années 1920, et l’utilisera jusque dans les années 1930, avant de recourir au Filmcolor. Sa production, réalisée sur un temps relativement court, laisse penser qu’il tente d’explorer l’ensemble des possibilités qu’offre le procédé. Méthodique, il note précisément les temps de pose et les focales utilisées. Il tient aussi un carnet pour l’ordonnancement des plaques noir et blanc et autochromes lors des projections au sein du photo-club rouennais. 

Il photographie son environnement, opère par séries, constituant ainsi un répertoire iconographique essentiellemnt consacré à la nature morte, avec un goût particulier pour les fleurs, et au paysage. 

Gustave Gain (Cherbourg, 1876 – Paris, 1945)

Né à Cherbourg, Gustave Gain grandit à Marcilly-sur-Eure. Étudiant en chimie, il devient docteur ès sciences, puis obtient un poste d’enseignant-chercheur au Muséum national d’histoire naturelle. Il est le frère aîné d’une fratrie étonnante, dont les membres sont profondément liés. C’est une famille « aux destins d’explorateurs » que la photographie accompagne dans ses voyages. Son frère Louis sera membre de l’expédition du commandant Jean-Baptiste Charcot vers l’Antarctique de 1908-1910. En 1914, Gustave et Louis Gain sont missionnés pour chercher au Turkestan des sources de minerais contenant du radium. Ils emportent naturellement des plaques autochromes afin de réaliser des photographies en couleurs. Quant à leur sœur Luce, en 1913, elle épouse Jules Rouch, que Louis Gain a rencontré à bord du Pourquoi pas ?. Leur fils, Jean Rouch, deviendra ethnologue et cinéaste. Gustave Gain s’est marié en 1902 et aura deux enfants, Pierre et André. 

Amateur éclairé, il pratique abondamment la photographie. Tout naturellement, il s’intéresse à l’autodrome, dès 1909. Ses compétences en chimie lui facilitent la tâche : ses autochromes sont d’une qualité et d’une maîtrise technique remarquables. Gustave Gain entraîne tout le monde dans sa passion de la photographie : utilisant femmes, sœurs et enfants comme modèles, communiquant à son frère Louis, son fils André et son neveu Jean son goût de la photographie et de l’image. Jean Rouch disait : « Je ne suis pas photographe, mais si je sais voir, je le dois à Gustave[1]. » 

La Normandie, les vacances au bord de la mer à Diélette, la propriété de Marcilly-sur-Eure constituent les ports d’attache de cette famille de voyageurs. Ces lieux servent de décors à la vie familiale telle que Gustave Gain la met en scène dans ses autochromes. Il n’hésite pas à fournir à ses modèles les costumes et accessoires rapportés de ses lointains voyages. 

Louise Deglane (?-1937)

Épouse d’Henri Deglane, architecte qui dessina le corps de bâtiment principal du Grand Palais, Louise Deglane photographie en autochrome ses séjours en Italie et en Suisse, des natures mortes, des vues d’intérieur et d’architecture. Parmi sa production conservée à la Société française de Photographie, dont elle est membre à partir de 1914, seule une vue a pu être localisée avec certitude en Normandie : Étretat. 

Édouard Costil (1849 – Courseulles-sur-Mer, 1939)

On ne connaît que peu de chose d’Édouard Costil. Parisien, propriétaire d’une villa à Courseulles, il y réalise en autochrome une série de portraits de femme. Le manque desensibilité de l’autochrome rendant l’exercice impossible en intérieur, il reconstitue dans ses jardins le décorum propre au photographe de studio.

Les professionnels

Léon Gimpel (Strasbourg, 1873 –  Séeignac-Meyracq, 1948)

Photographe amateur, membre de la Société française de Photographie, Léon Gimpel est de toutes les audaces formelles et inventions techniques qui agitent la photographie au tournant du xxe siècle. Habile photo-reporter, il collabore à L’Illustrationà partir de 1904. Il est immédiatement séduit par l’autochrome et participe à son lancement, en juin 1907. Amateur de scoops, il publie, le 29 juin 1907, les premières autochromes de reportage de la visite des souverains du Danemark en France. 

Jules Gervais-Courtellemont (Avon, 1863- Coutevroult, 1931)

Éditeur et photographe dans les années 1880 à Alger, il mène de front sous l’enseigne
Gervais-Courtellemont et Cie des activités de photographie, d’édition et de reproduction. Il fréquente les cercles littéraires et il est un des pionniers de la photo-littérature. Il devient explorateur, parcourt la planète et réalise à partir de ses photographies noir et blanc des projections qu’il présente au sein des Sociétés de Géographie. Il se saisit dès 1907 du procédé autochrome, mesurant immédiatement l’apport de la couleur. Il collabore également étroitement avec la presse, notamment L’Illustration, puis lorsque L’Illustration publiera de moins en moins d’autochromes, avec le National Geographic. Il photographie Jumièges, Château-Gaillard, Rouen mais également Caudebec-en-Caux et le mont Saint-Michel. Il se lance sur les traces de Gustave Flaubert, à Rouen et à Croisset. Il photographie les maisons qu’il a occupées et aussi la ferme de Mme Bovary. Le National Geographic publie, en janvier 1932, un numéro consacré à la Normandie illustré de treize autochromes de Jules Gervais-Courtellemont.

Les opérateurs Albert Kahn

Roger Dumas (1891-1972)

Roger Dumas entre au service des « Archives de la planète » en 1920, où il pratiquera également le cinéma. Il réalise une première mission en Normandie en mai 1921, dans le pays d’Auge et dans le Bessin. Au printemps de 1926, il effectue sa première grande expédition au Japon. Il revient en Normandie en 1929, empruntant la ligne de chemin de fer Caen-Domfront. C’est lors de ce voyage qu’il réalise ses merveilleuses vues d’arbres en fleurs. 

Auguste Léon (1857-1942)

Originaire de Bordeaux, il est le premier photographe professionnel recruté par Albert Kahn,en 1909. Il réalise ses premières autochromes la même année, lors d’un voyage en Amérique du Sud. Ses missions le conduisent ensuite en Europe et au Moyen-Orient. Il est très lié à Georges Chevalier, qu’il a fait engager en 1913. À partir de 1919, il est chargé du laboratoire.

Il est le premier à photographier la Normandie pour « Les Archives de la planète », en juillet 1912. Suivant la ligne de chemin de fer, il s’arrête à Évreux, à Lisiers et à Caen. Il complétera la campagne de Georges Chevalier en photographiant Rouen et Verneuil à l’automne de 1920.

Georges Chevalier (1882-1967)

Il entre au service « des« Archives de la planète » à la fin de 1913 grâce à Auguste Léon, qui l’a formé à la photographie. Georges Chevalier effectue des missions en France et à l’étranger. Il parcourt la Normandie durant l’été de 1920 : les vallées de l’Eure, de la Risle et de la Seine en juillet, puis la Côte fleurie, le sud du Calvados et l’Orne en août. Il revient en septembre pour photographier Rouen, Le Havre et Dieppe.

Il succède à Auguste Léon à la tête du laboratoire, en 1930. Après la ruine du banquier, en 1934, il veille sur les collections de plaques autochromes et de films, contribuant sans doute à la préservation du projet. Il devient, en 1936, responsable de la collection pour le département de la Seine, nouveau propriétaire de la collection Kahn.

Céline Ernaelsteen


[1]Cité par Marie-Isabelle Merle des Isles in « Gustave Gain, photographe », in  Couleurs sensibles, photographies autochromes de Gustave Gain, catalogue de l’exposition organisée aux Archives départementales de la Manche 2007, p. 11.


[1]In Revue photographique de l’Ouest, juillet 1907, no 7, 2e année, p. 74 et p. 80.

[2]Revue photographique de l’Ouest, décembre 1908, no 12, 3e année, p. XLVI.

[3]H. Bourée, « Notes pratiques sur l’emploi des plaques autochromes », Bibliothèque de la Photo-Revue, Paris, Charles Mendel éditeur, 1908.
Frédéric Dillaye, Les nouveautés photographiques (année 1908), Jules Tallandier éditeur.

[4]« La conférence Wallon », Revue photographique de l’Ouest, 1908, 3e année, p. 136.

[5]Carnet de projection de Charles Demeilliers, collection Fabien Persil.

[6]Anonyme, « La photo des couleurs », L’Art photographique, no 42, 1907, p. 2.

[7]Albert Kahn, janvier 1912.

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