Le titre complet de la photographie de Philippe Dufour présentée précédemment, Autoportrait devant l’entrée d’un immeuble de la reconstruction à Lisieux, faisait référence à la demande de la DATAR de montrer la reconstruction de l’après-guerre. L’artiste dit qu’il ne pouvait pas ne pas penser en même temps aux destructions qui en furent la cause. Certains sténopés remis à la DATAR montrent des armements abandonnés : tanks, blockhaus, canons, bien loin de la reconstruction.
A l’égal du cubisme, le sténopé déstructure les volumes et l’espace hérité de la Renaissance, comme nulle autre photographie ne l’a fait. Car il ne s’agit pas de collage. Tout au plus peut-on parler d’assemblage, mais d’un assemblage contraint, à partir d’une unique vue. Le photographe réunit dans l’ordre les cinq images correspondant aux cinq parois de la boîte.
En déstructurant les volumes le sténopé met hors de combat les armes les plus létales. Mais ce n’est pas tout à fait le cas de cette batterie de Longues dont la gueule, du fait du cadrage, garde un aspect menaçant. A moins qu’elle ne vous fasse penser à l’objectif d’un appareil photographique braqué sur vous. C’est toute l’ironie du photographe qui n’utilise aucun appareil.
Le choix de cette image n’est pas suscité par la « guerre » que nous mènerions aujourd’hui contre un ennemi invisible et mortel. C’est un hommage à la sobriété photographique de Philippe Dufour. A l’heure où on parle de repartir sur des bases nouvelles en mettant fin à une consommation parfois, insensée, où un petit appareil de poche permet de mitrailler des milliards de vues par jour, le sténopé nous montre une autre voie. Philippe Dufour ne faisait pas plus de deux images par jour, parce qu’il ne pouvait pas emporter plus de deux boîtes. Et il laissait faire le soleil.
Luc Desmarquest
Dépôt du fonds Philippe Dufour dans les collections de l’Ardi en cours.