L ’œuvre d’Adrien Boyer se développe au cœur du tissu urbain. Le photographe, guidé par un œil à l’affût, élabore son vocabulaire photographique lors de déambulations. Il effeuille les strates de l’urbanisme, détaille l’architecture et en fines couches les révèle.
Dans le cadre d’un projet culturel initié par la ville de Caen, l’Ardi-photographies lui a proposé le principe d’une commande photographique, jalon essentiel dans une œuvre. Convaincus que nous sommes de la nécessité d’un regard d’artiste sur la ville, il nous a semblé opportun de confronter notre cadre bâti aux enjeux d’une création photographique; un dispositif aux contraintes géographiques mais qui offre des possibilités à la photographie d’Adrien Boyer.
En faisant le choix d’un photographe dont la création repose sur la couleur, nous avons induit un regard sur notre désordre urbain. Sous notre climat la lumière transforme la banalité. Les harmonies colorées qu’engendrent les joutes entre les nuages et l’astre favorisent la curiosité. Dans cette atmosphère particulière, le sens de l’observation est sollicité et invite à la conquête du paysage.
La ville génère fréquemment le chaos visuel. Dans l’urbanisme choisi par le photographe, l’espace se structure avec des aplats souvent modelés par l’érosion du temps. Des surfaces planes s’interposent, des matières accrochent la lumière, parfois apparaissent des signes typographiques, des graffitis et même un soupçon de végétal. La maîtrise d’un graphisme appuyé permet aux objets et aux éléments d’architecture de mettre en évidence des plans proches de l’abstraction. Cependant, en aucun cas, les choix photographiques d’Adrien Boyer ne peuvent se détacher de la figuration.
Dans ces espaces dénués de présence, l’homme n’existe que par ses traces. Nos sens aiguisés décèlent des repères alphabétiques ou chiffrés, résultats d’une pensée, et des produits manufacturés révélant nos usages. Certains témoignent de nos mouvements, d’autres sont les symboles de nos corps, tous sont témoins d’un monde habité où l’homme a, a eu, ou aura sa place.
Frontalité ou perspective, la composition affirme l’une ou l’autre et parfois hésite pour mieux nous transporter dans un univers graphique que nos habitudes nous font ignorer. La représentation avec un seul point de fuite s’impose à nous depuis longtemps. Son ajustement nous rassure, mais dans le cas des photographies d’Adrien Boyer de nombreux dérèglements, souvent discrets, déstabilisent notre interprétation. Notre œil se débat avec ces sollicitations puissantes. La sensation de vide ou de calme est trompeuse. Le manque favorise l’interrogation et la réflexion. Tel un Edward Hopper, Adrien Boyer questionne et induit par ses cadrages la question de l’avant et de l’après. Tout comme le révélateur, l’image d’Adrien laisse deviner d’autres dimensions.
Le photographe, en aventurier, interroge l’inconnu ou l’invisible.
Gilles Boussard