AFFINITÉS

Dans l’œuvre de Marie-Céline Nevoux-Valognes, certaines photographies jouissent d’un statut particulier, ce sont des célibataires. Leur destin est de rester en attente dans ses cartons jusqu’au jour où la photographe se trouve en présence d’une scène ou d’une vue qui s’impose avec la force de l’évidence comme l’âme sœur d’un cliché célibataire. Une image en appelle une autre, l’opératrice les réunit.

Marie-Céline parle de diptyque. En grec, « diptukos » veut dire « deux plis ». Les œuvres en deux parties abondent dans l’art occidental du Moyen-Age à l’Art Moderne, mais la démarche de l’artiste frappe par sa singularité. En effet, dans certaines œuvres elle cherche à rendre invisibles ces « deux plis », à réaliser une fusion.  La surimpression de deux négatifs est connue depuis les débuts de la photographie, mais Marie-Céline ne reprend pas ce procédé que la technologie moderne rend encore plus facile, elle juxtapose simplement deux images. Cet assemblage apparemment très banal est en réalité très difficile car la compatibilité est rare. La fluidité spatiale doit permettre aux deux photographies de former un continuum, de prouver que 2 = 1.

D’autres associations sont plus proches du diptyque dans la mesure où l’artiste forme un couple d’images sans chercher à rendre invisible la réunion de deux clichés. Quelles affinités sont requises pour que les images se parlent et que l’appariement fonctionne ? Son but n’est pas de choquer à la manière de certains collages dadaïstes ou surréalistes, de faire la satire de la société ni de susciter un sentiment d’absurde. Son travail est une quête des complémentarités fondée sur l’harmonie ou sur le contrepoint.  Peut-on trouver des rimes plastiques comme il y a des rimes poétiques ? Dans tous les cas est posée la question de la compatibilité de plusieurs images entre elles.

Sa recherche n’est pas sans parenté avec certains tableaux de Magritte  où les nuages entrent dans l’appartement par la fenêtre ouverte, où la question spatiale est centrale. Libres comme les rêves,  les espaces ne connaissent ni les lois de la perspective ni celles de la physique, et le regardeur glisse d’un extérieur à un intérieur, ne sait plus très bien dans quel monde il se trouve. La poésie n’est pas absente de cette désorientation.

Marie-Céline affirme raconter des histoires qu’elle appelle « Chroniques photographiques ». En fait, elle se raconte des histoires, mais celles-ci, à la différence des diptyques du passé, ne sont pas explicites pour le regardeur. Peu importe, celui-ci inventera les siennes, car l’artiste a le talent de nous faire rêver.

Marie-Céline Nevoux-Valognes  n’est pas seulement une « marieuse »,  elle nous fait réfléchir à la nature de la photographie et pose des questions fondamentales sur l’unicité de l’image. Quelles affinités permettent de réunir plusieurs photographies pour former une œuvre unique ? 

Luc Desmarquest

INTIMITÉ

Comment représenter l’intime ? C’est le défi posé par la chambre des ados, lieu de l’intime par excellence. Marie-Céline Nevoux-Valognes  y répond par un cadrage serré. Elle découpe l’espace, certaines parties du corps,  prélève des échantillons de l’environnement.  Elle ne  fait pas de cliché de ce bazar légendaire qu’est  la chambre d’ado,  préférant le gros plan d’un vêtement tirebouchonné jeté sur une moquette : un détail évoque le tout.

Le corps est le motif le plus représenté à un âge où il se transforme et préoccupe. La photographe ne montre pas les visages, mais fait parler certaines parties du corps. Les mains et les bras disent les anxiétés, la détermination autant que le manque d’assurance. La chevelure  est un motif très présent, objet de soin, on la voit sous tous les angles, en particulier en surplomb pour découvrir ce sillon  intime qu’est la raie. Le corps se reflète souvent dans un miroir où il est interrogé.

Marie-Céline photographie des photographies, car les murs en sont envahis. Les murs ne sont jamais nus, ils affichent les êtres aimés ou admirés, des souvenirs ensoleillés ou des désirs d’évasion tournés vers l’avenir. Le regard se pose aussi au ras du sol, sur la moquette moelleuse où les corps se vautrent, où les objets trainent. Ceux-ci sont photographiés comme des natures mortes, abandonnés, prédisant que leurs propriétaires quitteront un jour définitivement le nid douillet.

La grande maîtrise des ombres et de la lumière contribue à évoquer subtilement le monde clos du cocon. La photographie de Marie-Céline est discrète, empathique, elle suggère, elle chuchote.

Luc Desmarquest

Exposition « Chroniques photographiques, Compositions, Adolescences »
Marie Céline Nevoux-Valognes

Bibliothèque Alexis de Tocqueville, Caen
12 novembre 2022 /8 janvier 2023

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